June 16, 2010
Keywords: Francais
JFS Newsletter N.80 (avril 2009)
Pris dans la bourrasque causée par la crise économique mondiale qui a commencé par le choc Lehman, le Japon aussi connait les faillites, les restructurations, les fins de contrats pour les intérimaires. En outre s'y ajoutent des problèmes existants depuis de nombreuses années comme un fort taux de chômage et les difficultés rencontrées pour trouver un premier emploi chez les jeunes, une couverture énergétique d'à peine 4 %, une couverture alimentaire de seulement 40 %, un vieillissement croissant de la population, les problèmes grandissants des services de soins et le fait que plus de deux tiers des agriculteurs ont plus de 65 ans. Le nombre de personnes souffrant de troubles psychologiques connait lui aussi une croissance rapide, le nombre de suicides dépassant 30000 cas par an... Dans cette société qui doit faire face à ses multiples problèmes, dans ce Japon un nouveau style de vie est apparu et s'étend silencieusement qui, sans aller jusqu'à résoudre tous les problèmes précités, permet de les réduire et les résoudre progressivement et qui est porteur de nombreuses et nouvelles possibilités fascinantes pour le futur. Il s'agit du concept de « mi-agriculteur, mi-X ».
Mi-agriculteur, mi-X ?
Ce concept de « Mi-agriculteur, mi-X » est un mode de vie prôné depuis le milieu des années 1990 par Naoki Shiomi, vivant dans la ville d'Ayabe au nord du département de Kyoto. L'agriculture n'y constitue pas l'activité principale mais permet de vivre en produisant pour sa consommation personnelle et celle de sa famille tout en pratiquant le métier, l'activité de son choix, de ses rêves, en étant utile à autrui, en remplissant son destin ou sa vocation personnelle -- ce qu'il a dénommé X -- en un mot en participant activement dans la société.
Ce mode de vie rompt avec le XXe siècle et sa production de masse, sa consommation de masse, ses transports de masse à très longue distance et, « du fait de pouvoir choisir un mode de vie permettant à chacun d'exprimer ses capacités naturelles, n'est-ce pas là un mode de vie permettant à la fois à la terre et à nous autres humains de vivre de manière durable et heureuse ? » nous dit Shiomi qui l'a ressenti en appliquant son propre mi-agriculteur, mi-X et en aidant de nombreuses personnes à trouver leur propre vocation, leur « X ».
Motivé par les problèmes environnementaux
Ce sont les problèmes environnementaux qui ont fait naitre chez Shiomi cette façon de penser. C'est ainsi qu'il commença à rechercher un nouveau mode de vie. Éloigné de sa ville natale d'Ayabe, vivant dans une grande ville et pensant aux problèmes environnementaux du point de vue des générations futures, il se mit à réfléchir et le résultat de ses tâtonnements concernant divers modes de vie est que chacun devrait au moins pouvoir vivre en autarcie, produisant soi-même sa consommation personnelle de nourriture, nous dit-il.
Shiomi pense aussi que les problèmes environnementaux sont liés aux problèmes affectifs des gens. La preuve est que les gens ne consomment pas seulement pour acheter ce qui leur est nécessaire mais, dans les pays développés, semblent plutôt essayer de combler un vide psychologique, se ruant pour consommer sans réfléchir au lendemain comme appâtés par les informations, leurs achats impulsifs guidés par la télévision et les journaux, les publicités des magazines, des prospectus ou les devantures des magasins.
Dans cette optique consumériste, ce n'est pas la peine de préciser qu'il n'existe aucune place pour une pensée pour l'environnement de la planète ou les conditions de travail des producteurs, on place machinalement son achat dans le caddie sans savoir si cela est vraiment nécessaire maintenant, si cela convient à nos propres valeurs, si cela aura une utilité future, sans même penser profondément à ce que cela représente pour soi. Shiomi se demande si les problèmes environnementaux actuels ne proviennent pas de cette recherche immature de soi, du désir et de l'acte guidés par une quasi-dépendance à la consommation.
Quand l'on interroge Shiomi, qui vit effectivement en tant que « mi-agriculteur » à la campagne à Ayabe, ou les gens de son entourage qui vivent de la même manière ou encore quand on écoute ces personnes qui sont depuis peu de plus en plus nombreuses au Japon à vivre en tant que « mi-agriculteur, mi-X », tous répondent que fondamentalement « leurs revenus et niveaux de vie ont diminué mais leur vie est plus riche». Autrement dit, cette vie alliant agriculture à petite échelle et un métier qu'ils aiment et ont choisi les satisfait et parallèlement la ruée vers la consommation à bas prix, son besoin même disparaît. En outre, l'agriculture qui dépend fortement des conditions climatiques, de l'eau, de la terre et de l'air devenant une part de la vie quotidienne entraine naturellement une prise de conscience de l'environnement et de ses changements et un développement de ce que Rachelle Carson appelle « le sens du merveilleux » (sense of wonder) .
La complémentarité de « l'agriculture » et du « X »
La principale raison pour laquelle Shiomi recommande le « mi-agriculteur, mi-X » est la possibilité de mettre les deux en pratique et en valeur en même temps. L'agriculture permet de rentrer en contact avec la nature, d'être en harmonie avec elle, d'observer le cycle de la vie, de le ressentir physiquement en cultivant la vie. Il s'agit de rappeler aux gens les sensations et les sentiments liés à « l'agriculture » qu'ils ont oubliés dans ce monde moderne où les lieux de production et de consommation sont si éloignés.
D'un coté les gens sont perdus, se questionnant sur eux-mêmes, « pourquoi suis-je venu au monde ? Qui suis-je ? Quel est le but de ma vie? ? », etc. La réponses à ces questions est de mettre en pratique son « X » personnel, qui nous absorbera parfois au point d'en perdre l'appétit et le sommeil, qui nous stimulera le corps et l'esprit, nous réjouira d'être en vie. Se plonger dans ses pensés, aiguiser sa sensibilité et ses perceptions tout en cultivant, c'est cela pratiquer son « X ». De plus, en cette époque de crise, l'assurance d'avoir du riz jusqu'à l'été prochain procure un sentiment de sécurité irremplaçable.
Connaître la vraie richesse
Autrefois, la richesse était représentée par des possessions nombreuses et de grande taille et c'est ce que les gens recherchaient mais, aujourd'hui, ces valeurs changent progressivement et le nombre de personnes se demandant « peut-on vraiment devenir heureux en possédant beaucoup ? » ne cesse d'augmenter.
une école pour élaborer son « X »
"Half-Farmer and Half-X Institute", tous droits réservés
Shiomi qui, à travers des conférences, des livres et internet promeut le concept de « mi-agriculteur, mi-X » nous dit que le meilleur écho est reçu par les 20~40 ans, la « génération des déficits », qui montrent un fort intérêt au concept. Il s'agit en effet de la génération qui doit payer l'addition de la « surexploitation des ressources naturelles » de la génération précédente. Partager plutôt que monopoliser, adapter à ses besoins plutôt que voir trop grand, ne pas courir en gaspillant l'énergie ni sacrifiant l'environnement mais s'en remettre aux rythmes naturels, le nombre de jeunes qui tentent d'incorporer ces notions à leur vie quotidienne croit constamment.
la traduction chinoise du livre « la vie mi-agriculteur, mi-X »
"Half-Farmer and Half-X Institute", tous droits réservés
Dans la ville d'Ayabe aussi, là où vit Shiomi, chaque individu, qu'il soit du pays ou vienne de la ville, quel que soit son âge ou son sexe, médite son propre « X » et une communauté active explore et met en pratique tous ces différents « X ». Comme cette septuagénaire qui a démarré une activité de chambre d'hôtes (tourisme vert) dans une ferme spacieuse, cet ancien professeur qui, en souvenir d'Anne Franck, fait pousser des roses qu'il donne en tant que symboles de paix, ce couple de peintres qui cultivent tout en créant et ressentant la nature par tous les pores de la peau. Toutes ces nouvelles provenant d'Ayabe y attirent en nombre des visiteurs et la traduction de livres de Shiomi en chinois y fait même venir des visiteurs de Taiwan.
Le nombre de gens rendus heureux dans leur vie quotidienne par la mise en pratique du « mi-agriculteur, mi-X » ne se limite bien entendu pas à Ayabe et ne cesse de croitre dans tout le Japon. Shiomi se demande si la création d'une société composée d'individus aux « X » variés ne constituerait pas un modèle de société prodiguant une vie riche et heureuse et y voit son prochain thème de réflexion personnelle.
Cependant la mise en pratique du « mi-agriculteur, mi-X » n'implique pas nécessairement de s'éloigner de la ville pour aller vivre à la campagne. Cultiver sur son balcon, sur le toit de son immeuble, seulement le weekend ou dans les jardins ouvriers convient tout aussi bien. Comme il se peut tout à fait que le « X » de quelqu'un soit de ne pas s'éloigner de la ville, l'important est de conserver une façon de penser flexible. De plus, il ne faut pas chercher la perfection dès le départ. Commencer par un petit pour cent d' « agriculture » ou de « X » suffit. Il n'existe pas de formule toute faite, il convient de commencer par ce qui est possible, d'essayer de s'approcher de l'« agriculture » en plantant tout d'abord une graine et par-là peut-être trouver un raccourci pour trouver son « X ».
Le concept de « mi-agriculteur, mi-X » a enfin mais à peine commencé à se répandre mais ne montre-t-il pas un mode de vie capable de représenter une lueur d'espoir pour cette société moderne confrontée à ses multiples problèmes de couverture alimentaire, d'alimentation, d'emploi, de cœur, d'environnement, de vieillissement, d'énergie, d'éducation, du tout pour l'argent ? La réponse nous viendra peut-être dans les dix prochaines années voire plus tôt.
Article rédigé par Hiroyo Hasegawa